mardi, septembre 26, 2006

JESUS DE L'HISTOIRE ET CHRIST DE LA FOI


LES QUATRE EVANGELISTES.
(Rubens)

Si le "Christ", prénommé "Jésus" dans les Evangiles n'est qu'un personnage sacralisé, une "hypostase divine", imaginée par la foi de l'Eglise ancienne, héritière de l'Ancien Testament et de la pensée philosophique grecque, faut-il renoncer définitivement à découvrir "sous le Christ de la foi" le "Jésus de l'histoire" ?

Tous les historiens et les exégètes qui tentèrent, en particulier aux 18ème et au 19ème siècles, de percer ce mystère n'y sont pas parvenus, car tous recherchèrent le "Jésus de l'histoire" (qui n'a laissé de lui-même aucune trace écrite) à partir de l' exégèse des textes évangéliques; c'est-à-dire par l'analyse de la forme de ces récits, de leur expression littéraire et philologique, tout en souhaitant sauvegarder l' autorité des Ecritures.

Une démarche nouvelle permettrait-elle de sortir de l'impasse ?

Ennio FLORIS, auprès duquel j'ai eu le privilège de pénétrer pendant plus de quarante ans les méandres de sa recherche, l'a tentée. Son ouvrage, publié sous le titre "Sous le Christ Jésus" (Flammarion, 1987), fruit d'une longue maturation, a abouti à formuler une méthode inédite d'analyse des récits évangéliques, fondée sur une approche linguistique des textes et sur l' historicisme de Jean-Baptiste VICO (1668-1744), qui présuppose que la nature d'un phénomène est connaissable par sa genèse comme "événement de parole et de culture" (Consulter le site : "L'analyse référentielle et archéologique" - http://alain.auger.free.fr)

Le mythe est le "produit de l'activité métaphorique des hommes à l'âge de leur enfance culturelle". "Pour connaître ce phénomène (le "Jésus du texte") - écrit Ennio FLORIS - et pour résodre le problème qu'il pose, il faut rechercher la structure du langage des Evangiles (page 36). C'est pourquoi, "la foi comme valeûr doit être mise entre parenthèses" (page 36). Il poursuit : "On ne pourra saisir Jésus qu'à travers le mécanisme qui lui a permis, pour ainsi dire, d'entrer dans le discours" (page 38). La démarche d'Ennio FLORIS n'est donc pas exégétique et sémantique, mais référentielle. "Une fois connu ce que le texte dit, la démarche cherche à quoi se réfère le 'dit' du texte (page 38). L'Eglise primitive avait perdu la "mémoire" du "Jésus historique". "Au temps des évangélistes, l'Eglise est séparée de cette parole par une distance historique et culturelle. Pour y accéder, il fallait une médiation par la lecture et l'interprétation" (page 76). L'Eglise dut faire un effort de remémorisation, et son discours s'est constitué au moyen d'un "processus dialectique avec des opposants juifs qui ,sans croire au messianisme de Jésus, le connaissaient assez pour en discuter" (page 86). Paul et les évangélistes n'ont pas eu recours à la mémoire de leur passé, mais à l' "anamnèse", c'est-à-dire à leur mémoire ressuscitée.

Ainsi, le langage des Ecritures est lié à un code qui unit le signe (Jésus) à son signifié (le Christ). Par exemple, dans le récit d'Emmaüs, "les disciples ne voient pas le Ressuscité en personne, mais perçoivent seulement des "signes" par lesquels ils le reconnaissent" (page 75). L'auteur en infère que "puisque les évangélistes ne connaissaient Jésus que par les renseignements qu'ils pouvaient avoir sur lui", ceux-ci constituaient la "substance" du "signe" qu'ils devaient formaliser. "Ainsi, ils recherchèrent dans les informations sur Jésus les énoncés, les expressions, les mots mêmes qui avaient un rapport naturel avec le "Christ des Ecritures". Ils établirent un parallèle entre "Jésus" et "le Christ" par la médiation de deux récits : les "informations" et les "récits messianiques" (page 88). Jésus-Christ devenait ainsi "parole-image" (page 91), se présentant comme "personne historique" quand on voulait le considérer comme un "mythe"; et comme un "personnage mythique" quand on voulait le situer "dans l'histoire" : ce qui explique l'ambiguïté des récits évangéliques qui sont à la fois des "faits mythisés" et des "mythes historicisés"; et non point des "faits historiques".

Comment tenter de parvenir au "Jésus de l'histoire" ? Si cela est devenu impossible par l'exégèse classique, on peut observer à l'intérieur hétérogène des récits évangéliques des "hiatus", des "apories", révélateurs du "Jésus de l'histoire". "Des lambeaux d'information sur Jésus sont juxtaposés à des fragments scripturaires sur le Christ" (page 102). Si les évangiles sont le "tombeau du Christ", comment l'en faire sortir ? Après avoir séparé "le discours sur le Christ emprunté aux Ecritures du discours sur Jésus, propre aux informations" (page 102). Au terme de ce processus, on trouvera "des bribes de paroles, des mots, des énoncés et des trames" (page 104), qu'il conviendra de réinsérer dans le discours dont il faisait partie, à l'image de la "dépose" des fresques qui "permettait de détacher la dernière couche d'enduit, celle qui supporte la peinture, de la première sur laquelle le peintre avait tracé en sépia l'esquisse qui devait lui servir de base" (page 12). Par exemple, dans le texte : "Marie fut trouvée enceinte du Saint-Esprit...", on peut distiguer le "fait" ("Marie fut trouvée enceinte...") de son "interprétation" ("...du Saint-Esprit"). On procédera ensuite à la "reconstitution du discours d'information", à la manière de l'archéologue qui restitue un vase ou une demeure antique à partir des fragments retrouvés et selon les modèles connus.

Ainsi,dans l'énoncé "Marie fut trouvée enceinte", il devient possible "en se fondant sur les écrits anciens, juridiques et mythiques, de reconstituer les péripéties auxquelles était exposée une femme quand elle était trouvée enceinte en- dehors de la légalité. Dénoncée, elle était condamnée à mort... Ainsi, une fois le fait repéré, il est possible d'établir une trame hypothétique sur laquelle reconstituer le récit d'information" (page 109). "Bref - en conclut Ennio FLORIS -, il faut exhumer le "corpus" des informations, les interpréter et reconstituer le discours. Il faut faire sortir "Jésus" du "tombeau des textes" pour le donner à l'histoire. page 115).

A partir du fait historique de l'origine bâtarde de Jésus, Ennio FLORIS dessine le "profil" d'un homme qui, à travers une profonde crise de conscience à l'épreuve du désert, en quête de son identité par une lecture de l'Ancien Testament, découvre dans sa condition de fils bâtard, sa vocation prophétique de purification, mais échoue dans une action surhumaine de délivrance du peuple d'Israël, en butte à l'incompréhension de ses amis et à la haine mortelle de ses ennemis; qui, enfin, pour échapper à sa situation d'homme bâtard, ne put retrouver sa liberté d'homme que lorsque les conditions de sa bâtardise furent accomplies en lui. "La foi en la résurrection qui lui fut propre, lui fit comprendre que la mort était pour lui l'unique chemin de la rencontre avec le Père...Ceux qui, les premiers, le reconnurent comme 'Christ' virent en lui "l'homme qui, ayant donné sa vie pour les autres, fut sauveur par sa mort" (p.219).

Dans le sillage du prophète Osée, Jésus fut le prophète de l'amour, capable de susciter en l'homme l'énergie créatrice d'humanité. Prophète (et non "homme-christ" en qui les hommes seraient appelés à renoncer à leur humanité), c'est-à-dire celui qui annonce et déclare aux hommes que cette "créativité" est cachée au fond d'eux-mêmes à l'état de germe prometteur d'amour et de vie. Prophète qui annonce à l'homme : "Deviens ce que tu portes en toi-même."

Pierre CURIE

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